Argument
Depuis 1970, la domination du clan Assad sur la Syrie se manifeste par son monopole sur l’appareil d’état et les ressources économiques ainsi que par le contrôle étroit de toute la société et des discours qui s’y déploient. L’histoire ancienne, moderne et contemporaine est l’objet d’une ingénierie politique visant à imposer une vision monolithique et falsificatrice du passé et de la mémoire. La révolution de 2011, outre les bouleversements politiques et sociaux qu’elle engendre dès son déclenchement, provoque une rupture radicale avec l’ordre narratif et sémantique imposé jusqu’alors. De multiples formes de prise de parole et d’écriture dans la rue, dans l’espace numérique ou au sein des mondes de la manufacturing culturelle redéfinissent les contours de nouvelles consciences de soi et de rapports au monde, en Syrie puis dans l’exil. La révolution ouvre alors des possibilités de réappropriations et de relectures multiples du passé, du roman national et des histoires locales, tout en étant elle-même au cœur d’une intense bataille narrative et mémorielle.
Ce colloque suggest de réunir anthropologues, politistes, sociologues et historiens dans une réflexion commune sur ces actes de « mise en récit » de soi, de sa famille, de sa localité, de la révolution, de la guerre mais aussi des événements proches et plus lointains dans le temps, rendus possibles par le basculement de 2011. Les intervenants sont invités à mettre au jour la permanence de ces modes narratifs, leurs transformations et leurs reconfigurations depuis 2011. Nous souhaitons explorer trois axes de réflexion tout en questionnant le rapport renouvelé des chercheuses et chercheurs à leurs sources et à leurs méthodes.
- Dompter le passé pour discipliner le présent : trames historiques officielles et historicisation de l’espace national
La mise en place d’un récit historique diffusé et canonisé dans l’espace public syrien est à la fois le fruit d’interventions de la part du régime et d’une longue sédimentation liée à l’établissement des buildings de l’État-nation syrien. En révélant, en mettant l’accent ou en occultant faits, lieux et personnages perçus comme majeurs ou mineurs, ce dispositif façonne les discours autorisés, et contribue à construire des espaces physiques, sociaux et économiques. L’adhésion sincère ou de façade à ce roman a constitué l’un des socles politiques du régime. Ainsi, une consideration particulière sera portée au déni, à l’effacement ou encore à la distorsion de certains faits historiques, sociaux et religieux et au sens qu’une interprétation critique voire dissidente pourrait leur donner. Il s’agira donc de se demander dans quelle mesure ces récits imposés, omniprésents dans l’espace public et dans le quotidien, ont pu susciter des manifestations explicites ou allusives de contestation avant et après 2011.
- La révolution de 2011 : quand l’histoire fait écho
Alors que la révolution s’impose comme un moment révélateur de reconfiguration des récits historiques et d’inventions de formes de prise de parole, on s’interrogera sur les modalités de contestation du discours historique officiel depuis 2011 mais aussi sur la réappropriation et la réactualisation de l’histoire et de la mémoire. Quels référents historiques officiels font l’objet de désaveu, de railleries et de détournements ? Mais aussi, remark dans l’élaboration de ces nouveaux récits sont mobilisés ou invoqués des figures, des épisodes, des référents historiques anciens ou nouveaux et des événement oubliés ou occultés ? La tendance au retour sur des histoires et des figures du cru que l’on peut observer depuis 2011 dans différents espaces syriens nécessite également une réflexion sur les enjeux politiques et historiographiques des localismes et régionalismes émergents. La réflexion portera enfin sur les manières dont le moment révolutionnaire entre en résonance avec d’autres moments de l’histoire syrienne. Remark les acteurs de la révolte et leurs rivaux s’ingénient à construire des parallèles avec les révoltes du passé ou à les battre en brèche ?
- Formes et enjeux de la réappropriation des récits et des mémoires
La révolution puis le conflit en Syrie ont donné lieu à une somme considérable de traces et de paperwork produits par les acteurs eux-mêmes. Dès les premières manifestations, l’acte de témoignage et le souci de l’établissement des faits étaient au cœur des préoccupations d’un grand nombre de celles et ceux qui y prirent part. Le réinvestissement de l’espace public quand c’était attainable, l’occupation de nouveaux espaces notamment dans les sphères numériques, artistiques, culturelles et militantes, ont engendré une production large et disséminée de récits que nous chercherons à examiner. Quelles en sont les formes, les enjeux et les modalités de diffusion/réception ? Comment évoluent-ils dans le temps et dans l’exil ? Dans quelle mesure peuvent-ils contribuer aujourd’hui à faire autorité et à « faire histoire » dans un contexte de supposée « sortie de guerre » propice aux tentatives de réhabilitation du régime et d’effacement de ses crimes ?
Soumettre une communication
Les propositions de communication (titre et résumé de 500 mots en français ou en anglais) sont attendues pour le 10 novembre 2022 et devront être envoyées au comité scientifique du colloque :
- Anna Poujeau : a.poujeau@ifporient.org
- Cécile Boëx : cecile.boex@ehess.fr
- Boris James : boris.james@univ-montp3.fr
- Vanessa Guéno : vanessa.gueno@univ-amu.fr
Les notifications seront envoyées aux auteurs avant le 25 novembre 2022.
Les frais de voyage et d’hébergement seront pris en cost par l’organisation du colloque pour les intervenants.
Informations pratiques
- Date limite de soumission des propositions de communication : 10 novembre 2022
- Lieu du colloque : Ifpo Beyrouth
- Dates : 25-27 janvier 2023
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