La BnF accueille chaque année des chercheurs associés qui conduisent un travail au plus près de ses collections. Aujourd’hui Kaveh Hedayatifar présente un nouveau volet de ses recherches en cours.
Cet écrit accompagne le film documentaire sur le Varzesh-e Bâstâni (Les traces d’un sport antique1) et tente de présenter cette pratique corporelle et musicale d’Iran. L’idée de faire un movie documentaire sur cette pratique vient d’une nécessité que j’ai sentie dès le début de mes recherches sur les pratiques corporelles et musicales& : le besoin de s’impliquer dans la pratique qui est notre objet de recherche.
La création de ce movie avait un objectif principal& : démontrer mon objet d’étude, une séance du Varzesh-e Bâstâni à laquelle j’ai pu participer en 2019 en Iran. Ainsi, j’ai pu décrire visuellement le Varzesh-e Bâstâni tel qu’on le pratique dans une journée en fin de semaine à Chahr-é Ray dans la province de Téhéran. En suivant cet objectif, nous sommes dans une démarche anthropologique, du terrain à la théorie, qui essaie de s’approcher de la réalité du phénomène en query tel qu’il existe sur le terrain au second de la réalisation d’une recherche. Pour ce film, j’ai essayé de ne pas influencer le terrain par la présence de la caméra2. Respecter ce principe m’a permis de montrer, par exemple, comment les pratiquants s’habillent, quelles tranches d’âges ils ont, à quel niveaux ils sont entraînés, and so on. Ces détails importants, d’un level de vue anthropologique, étaient ce qui manquait souvent dans les films documentaires sur le Varzesh-e Bâstâni dans lesquels on essaie de montrer les elements spectaculaires de cette pratique par le biais d’une mise en scène préparée.
Le film, comme il est annoncé au début, est un prologue automotive traiter tous les elements de cette pratique nécessite un investissement (temporaire et financier) plus essential que celui que je pouvais consentir à l’époque. Par ailleurs, pour avoir une ouverture sur cette pratique qui pourra accompagner le visionnage du movie, je vais aborder quelques features philosophiques et sociales du Varzesh-e Bâstâni par la suite.
Contexte socio-culturel du Varzesh-e Bâstâni3
La pensée soufie, dans sa révolte contre l’orthodoxie, a donné naissance au courant social du Fotowat4. Dans ce contexte, le Varzesh-e Bâstanî est une pratique challenge du développement de ces idées dans la société iranienne. L’importance de cette pratique pour notre étude réside dans le but éducatif de cet entraînement corporel et musical. Autrement dit, la formation d’un help corporel qui a renforcé la réalisation, à une grande échelle, d’une croyance religieuse sous forme d’enseignements corporels et moraux. Nous avons la trace de cette pratique à partir du XVIIe& siècle, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existait pas avant5. Le Varzesh-e Bâstânî, avant qu’il devienne un sport dans le sens moderne du terme à partir de 19306, avait un parcours souvent associé au courant Fotowat en Iran. Plusieurs événements et facteurs se réunissent pour qu’un entraînement physique trouve petit à petit une philosophie, une forme et un endroit spécifiques, dont la trace des entraînements militaires est évidente, tant dans sa forme que dans ses accessoires.
La tendance anti-institutionnelle du soufisme qui se détachait de toute construction orthodoxe religieuse rejoint la volonté chevaleresque des hommes qui, selon certains chercheurs, tels que Bâstâni Parizi et Qolâm Hussein Yousefi, voudraient prendre en major le destin de leur pays. Mehrdad Bahâr associe le Varzesh-e Bâstânî à une approche épique et chevaleresque existante avant l’Islam dans la mythologie zoroastrienne et mithriaque7. Quelle que soit l’origine ou les origines de cette pratique, nous sommes face à une organisation d’un groupe social autour de certaines valeurs éthiques et religieuses qui soutiennent une communauté sociale. Le Bâstanikâr8 tel qu’on l’observe aujourd’hui, se trouve dans un chemin spirituel à travers sa démarche. Le but de son entraînement corporel est de détruire son égo. Ainsi, il n’utilise pas son pouvoir dans un however égoïste et personnel. Les Bâstânikâr montrent leur gratitude envers Dieu dans le soutien qu’ils apportent au peuple.
Par ailleurs, l’origine militaire de cette pratique se manifeste également dans son organisation et l’attribution des grades aux pratiquants selon leurs niveaux moraux et physiques. Cette organisation est également une raison pour laquelle on associe cette pratique au mithraïsme où les adeptes du culte de Mithra sont gradés9 et évoluent au sein d’une échelle du culte. Dans le Varzesh-e Bâstânî, comme dans le culte de Mithra, les adeptes gagnaient un statut plus élevé en fonction des épreuves qu’ils surmontaient10. L’initiation au culte de Mithra obligeait les adeptes à subir des épreuves difficiles pour préparer leur entrée dans le culte11. Selon Lajard, ces épreuves, et par la suite les grades, sont les étapes qui préparent les adeptes sur trois niveaux& : physique, intellectuel et moral. L’entraînement dans le Varzesh-e Bâstânî couvre également ces trois niveaux, notamment les niveaux physiques et moraux.
L’structure du lieu du Varzesh-e Bâstânî, Zourkhâneh (la maison de la drive), est souvent assimilée au Khânqâh (le lieu du refuge des soufis, équivalent du couvent), ou même les mithraeums12. Chaque séance est accompagnée par la musique du Zarb (la percussion), du Zang (la clochette) et du chant de Morshed13 (littéralement : information). La séance se divise en plusieurs events. Au cours de chaque intervalle, il y a un discours moral ou un chant à travers lequel un message éthique se transmet. Les discours appartiennent aux pratiquants hauts gradés, plus expérimentés et plus âgés. Ces discours sont destinés particulièrement aux plus jeunes et débutants. Ces derniers attirent souvent l’consideration des Bâstânikâr sur les problèmes des habitants du quartier, comme les besoins financiers. Les Bâstânikâr contribuent à résoudre ces problèmes par une participation financière. Ainsi, la communauté de Varzesh-e Bâstâni trouve une place dans la vie économique et sociale de tous les habitants du quartier, et les valeurs défendues par ces pratiquants deviennent la valeur des habitants du quartier.
Quant aux typologies des entraînements dans le Varzesh-e Bâstâni, Philippe Rochard démontre remark plusieurs activités d’entraînement se regroupent sous une même entreprise philosophique et sociale14. Par exemple, le mouvement Charkh (tourner sur soi) ressemble à la pratique des derviches tourneurs& ; de même, le Koshti Pahlevâni (lutte traditionnelle) est le symbole de l’évaluation du pouvoir et des niveaux de flexibilité des Bastânikâr. Koshti Pahlevâni était déjà liée aux confréries soufies dès le XIIIe siècle15.
Pour reprendre notre propos sur la transmission des croyances, nous constatons par l’exemple du Varzesh-e Bâstânî comment un entraînement corporel (voire militaire) au cours d’une histoire rejoint un mouvement de pensées et constitue un «& savoir-être& ». La pensée soufie, d’une certaine façon, est la continuité des mouvements ésotériques depuis l’Antiquité. Cette dernière trouve les moyens de se transmettre, au sein de pratiques performatives et musicales, par une approche éthique moralisante guidée par les maîtres. C’est dans ce contexte que toute action et parole des maîtres (Kohneh Savâr16 dans le cas du Varzesh-e Bâstânî) devient une source d’inspiration dans la vie des débutants, automotive nous avons affaire à un «& savoir-être& » et un «& savoir-vivre& ». Ainsi, l’apprentissage devient l’apprentissage d’un mode de vie.
Notes
- Ce film sera bientôt consultable dans les salles de lecture de la Bibliothèque nationale de France.
- J’ai traité ce sujet dans un autre billet : Kaveh Hedayatifar, « Remark sur le statut de chercheur sur le terrain à travers une expérience cinématographique », Carnet de la recherche à la Bibliothèque nationale de France, 30 juin 2020. Disponible sur Web, url : <https://bnf.hypotheses.org/9609>.
- Cette partie, avec certaines modifications, est une partie d’un chapitre de thèse de doctorat de l’auteur, Kaveh HEDAYATIFAR, «& Les apports des pratiques performatives et musicales iraniennes au sein du processus de création de l’acteur& », thèse de doctorat en arts du spectacle, sous la path de Isabelle Starkier, Évry-Courcouronnes, Université Paris-Saclay, 2021, p.& 145-148.
- Le courant Fotowat ou Javanmardi est un courant de chevalerie en Iran depuis le IXe siècle. Pour l’évolution du courant Fotowat, cf. Traités des compagnons-chevaliers& : recueil de sept fotowwat-nâmeh, publié par Morteza Sarraf, introduction analytique par Henry Corbin, Téhéran, Département d’iranologie de l’Institut franco-iranien de recherche ; Paris, A. Maisonneuve, 1973.
- Philippe Rochard, «& Les identités du zurkhâne iranien& », dans Methods & Culture [En ligne], 39& |& 2002, mis en ligne le 12 juin 2006, consulté le 30 août 2020. URL& : http://journals.openedition.org/tc/208& ; DOI& : https://doi.org/10.4000/tc.208
- Philippe Rochard, Les représentations du ‘beau geste’ dans le sport traditionnel iranien, dans& : B.& Hourcade, ed., Iran, questions et connaissances. Actes de la IVe conférence européenne des études iraniennes, Paris, 1999,vol.& III& : Cultures et sociétés contemporaines. Louvain/Paris, Peeters/Affiliation pour l’avancement des études iraniennes, 2003, p.& 161-170. (Studia Iranica, cahier 27), p.162.
- Mehrdad BAHÂR, barresi-e farhangi –ejtema’i Zourkhâneh haye Tehran (Une étude socioculturelle des Zourkhâneh à Téhéran), Téhéran, Édition Shoraye Ali farhang o honar, 1355 (1976).
- Celui qui fait le Varzesh-e Bâstâni.
- Pour en savoir plus sur les grades dans le culte de Mithra en Europe, cf. Maarten Jozef VERMASEREN , Mithra, ce dieu mystérieux, Paris-Bruxelles, Séquoia, 1960, p.& 115-126.
- L’omniprésence des hommes dans la pratique de Varzesh-e Bâstâni est aussi une autre raison qui nous amène à associer cette pratique au culte mithraïque.
- Cf. Marteen VERMARSEREN, op. cit., p.& 108-114.
- Ali HEIDARY, Naser DOLATSHAH, «& Manifestations of Sufism, Chivarly, and Shia Religion in Historic Sport and Gymnasium of Iran& », biannuelle de Pajouhesh dar Modiriyat varzeshi va rafter Harkatî, n°& 20, 2012, p.& 60-61.
- De nos jours, Morshed dans le Varzesh-e Bâstânî est celui qui joue de la musique de percussion et chante pendant la séance.
- Philippe ROCHARD, 2003, ibid.
- À partir de l’époque timouride, la lutte prend une place importante et trouve une place noble dans la société iranienne. Nous pouvons constater les éloges de Kâshefi Sabzevâri dans le traité Fotowatname Soltani sur Koshti Pahlevâni.
- Le Kohneh Savâr est la personne la plus haut gradée dans le Varzesh-e Bâstânî.
Comments