Satoshi Kako 加古里子 (1926-2018) : l’auteur qui sut donner vie aux jouets et aux jeux de l’enfance

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La BnF accueille tous les ans des chercheurs associés qui conduisent un travail au plus près de ses collections. Clara Wartelle-Sakamoto publie un article dans le cadre de ses recherches menées au Centre national de la littérature pour la jeunesse (CNLJ) autour de son projet : Analyse du fonds Fukuinkan-shoten du Centre national de la littérature pour la jeunesse.

Auteur et illustrateur prolifique d’albums pour enfants, Satoshi Kako est l’une des grandes figures de la littérature de jeunesse japonaise des XXe et XXIe siècles. Né dans un village près de la ville de Takefu (aujourd’hui Echizen) du département de Fukui en 1926, il racontait avoir été élevé dans un environnement sans livres1. En revanche, il passait ses journées dans la nature, ce « grand album illustré vivant » qu’il ne se lassait d’explorer. C’est avec la bibliothèque de son école qu’il découvrit le plaisir des livres et le plaisir de lire. En dépit d’un intérêt précoce pour le dessin, son rêve d’enfant était de devenir pilote au sein du corps d’aviation de l’Armée impériale japonaise, rêve qu’il ne put réaliser en raison d’une myopie sévère. Ainsi, contrairement à la plupart de ses camarades conscrits ou volontairement enrôlés dans l’armée, il poursuivit ses études au lycée, puis à l’université durant la guerre du Pacifique, jusqu’à la défaite du Japon. Il survécut ainsi à plusieurs de ses amis d’enfance, et réalisant avec effroi l’aveuglement de sa génération devant le militarisme, il eut désormais à cœur de transmettre aux enfants les dangers du manque de clairvoyance et de discernement.

A l’âge de 20 ans, alors étudiant à la faculté d’ingénierie de l’université impériale de Tokyo, il intégra un groupe de théâtre au sein duquel il fut d’abord responsable des décors, puis chargé d’écrire quelques pièces de théâtre pour enfants. Dès lors, il s’intéressa à la production pour la jeunesse en suivant des séminaires et des colloques en parallèle de ses études d’ingénierie. Une fois son diplôme en poche et en poste dans une entreprise privée en tant qu’ingénieur, il s’impliqua dans des activités de service d’entraide sociale et des associations pour les enfants qui l’amenèrent à côtoyer régulièrement des enfants pour qui il dessinait et lisait des kamishibai. Cet artwork narratif ayant pour particularité de révéler sur le second la réaction des enfants, il fut particulièrement formateur pour Kako qui mit tout en oeuvre pour créer des histoires captivantes, améliorant au fur et à mesure celles qui n’avaient pas suscité l’intérêt de son public intransigeant. C’est par l’étude scrupuleuse des enfants et de leur comportement qu’il voulut créer des personnages à leur image : ni tout blanc, ni tout noir. Lors d’une interview accordée à la NHK en 2014 dans une émission lui étant consacrée, Kako déclarait ne pas vouloir donner de leçon de morale à travers ses albums, ce qui explique aussi
pourquoi les personnages de ses histoires peuvent être malicieux, envieux, pleurnicheurs… mais finalement très réalistes et à l’image de ses petits lecteurs.

Il quitta son entreprise en 1973 et se consacra aux recherches sur la tradition matérielle de l’enfance et sur la littérature de jeunesse. Sa contribution dans ces domaines se présenta sous de multiples elements : tantôt animateur dans des émissions jeunesse à la télévision, tantôt chroniqueur dans des journaux nationaux, il fut également chargé de cours à la faculté de lettres de l’université métropolitaine de Tokyo, à la faculté de pédagogie de l’université de Tokyo et à celle de l’université nationale de Yokohama, et mena des actions éducatives à l’étranger notamment en participant à des missions d’alphabétisation dans le monde au sein de l’ACCU (Asia-Pacific Cultural Centre for UNESCO). Son oeuvre comprend plus de 500 productions allant des albums narratifs, des livres éducatifs sur les sciences et l’astronomie aux contes et aux kamishibai. Il fut publié aux éditions Kaiseisha, Fukuinkan shoten, Dôshinsha, et Komine shoten, entre autres. Son premier ouvrage pour enfants est Damu no ojisan tachi en 1959 dans la assortment Kodomo no tomo. Ses deux séries d’albums narratifs les plus célèbres sont : Daruma-chan (Fukuinkan shoten) et Karasu no pan.ya san (Kaiseisha), mais il est également connu pour ses albums scientifiques, ainsi que pour ses ouvrages sur la collecte et la conservation des objets de la tradition enfantine. Son oeuvre et sa carrière furent récompensées de multiples fois. Il fut lauréat, entre autres, du prix Sankei youngsters’s e-book award en 1963, du prix de la Chemical society of Japan en 2009, et du prix Kan-Kikuchi en 2008 pour sa contribution à l’étude des jeux de l’enfance et au développement de la littérature pour la jeunesse (prix qu’il remporta la même année que son compatriote Mitsumasa Anno).

Chikatetsu no dekiru made (« Jusqu’à ce que le métro soit terminé »), Fukuinkan shoten, première édition 1987, traduit en français sous le titre « Les travaux du métro » à l’Ecole des loisirs.
Chikatetsu no dekiru made («& Jusqu’à ce que le métro soit terminé& »), Fukuinkan shoten, première édition 1987, traduit en français sous le titre «& Les travaux du métro& » à l’Ecole des loisirs.

Le CNLJ preserve dans son fonds international plusieurs des albums pour enfants de Satoshi Kako, non traduits en français, et publiés chez l’éditeur Fukuinkan shoten. Dans ce billet, nous proposons de découvrir l’œuvre de cet auteur incontournable au Japon, mais encore méconnu en France.

Un fin connaisseur de la tradition matérielle de l’enfance

Tout en travaillant, il se forma sur la littérature de jeunesse étrangère et fut particulièrement marqué par une histoire publiée dans un journal pour enfants russe reprenant les jouets traditionnels matriochka. Il s’en inspira pour inventer une histoire avec des personnages principaux inspirés d’un jouet traditionnel japonais& : le daruma2.

Les recherches de Kako l’ont amené à comprendre que les jeux et les jouets traditionnels, éparpillés dans les régions japonaises, sont le reliquat des croyances populaires dans les campagnes : la longévité, la prospérité de la descendance, la safety contre les maladies. Fasciné par les coutumes locales, les vieilles légendes et les contes folkloriques, Kako a su, par une étude attentive de la tradition matérielle des enfants, faire de ces objets le riche terreau de son œuvre. Daruma-chan est un personnage tout droit né de cette réflexion, auquel il a prêté les émotions naïves et spontanées des enfants. Il prit pour modèle le daruma de Kôfu dans le département de Yamanashi3, ajoutant à la poupée originelle des bras et des jambes pour se mouvoir.

Daruma-chan, personnage principal de la série d’albums éponyme.
Daruma-chan, personnage principal de la série d’albums éponyme.

Dans le contexte d’après-guerre4, les références ostensiblement japonaises étaient de manière générale affadies au profit d’éléments non identifiés culturellement dans la manufacturing pour la jeunesse. Kako prit le contre-pied de cette tendance, choisissant un jouet à l’identité japonaise forte, le daruma, dessiné dans un rouge vif et immédiatement identifiable. Son compagnon de jeu dans le premier album de la série (Daruma chan to tengu chan, «& Petit Daruma et Petit Tengu& ») Fukuinkan shoten, 1967) provient lui aussi du folklore japonais& : c’est un tengu5. Pour le deuxième album de la série, Daruma chan to Kaminari chan6 («& Petit Daruma et petit Kaminari& »), Kako inventa une ville futuriste aux couleurs moins nationales.

Daruma chan to tengu chan, Fukuinkan shoten, 1967.
Daruma chan to tengu chan, Fukuinkan shoten, 1967.

Une formation scientifique au service de la littérature de jeunesse

Kako estimait que les sujets choisis pour les ouvrages scientifiques ne devaient pas, parce qu’ils s’adressent aux enfants, être restreints aux plantes et aux insectes, comme le voulait la tendance dominante à l’époque. Selon lui n’importe quel sujet, même complexe, pouvait servir de thématique à un documentaire. Dans le numéro de mars 1973 de la assortment d’albums documentaires Kagaku no tomo (Fukuinkan shoten) il dit ainsi : «& Le monde qui entoure les enfants est fait d’avions à réaction qui se croisent, de pollution atmosphérique, de débats politiques et économiques qui leur parviennent aux oreilles by way of les discussions à la maison ou la télévision. C’est dans un tel environnement que les enfants développent leur propre sensibilité, amassent de la sagesse, s’ingénient à de multiples choses. Les deux circumstances à remplir pour concevoir un album scientifique sont donc& : de deviner les attentes des enfants et de faire fructifier ces dernières dans un ouvrage qui satisfasse les lecteurs et anticipent leurs questions ».

Kawa (« le fleuve »), Fukuinkan shoten, première édition 1966.
Kawa («& le fleuve& »), Fukuinkan shoten, première édition 1966.

Kako Satoshi est aussi l’auteur à 85 ans d’une série documentaire de 12 numéros sur les festivités de l’année (Kako Satoshi kodomo no gyôji shizen to seikatsu, Komine shoten, 2011-2012), dans le however de transmettre les croyances et les traditions anciennes. Mais il intégra également des fêtes et des célébrations étrangères pour sensibiliser les enfants aux autres cultures.

En France, la qualité de ses albums documentaires fut reconnue et l’on peut citer deux de ces ouvrages traduits : Les travaux du métro (assortment Archimède, l’Ecole des loisirs, 1993), Pourquoi une maison& ? (collection Archimède, l’Ecole des loisirs, 1992).

Anata no ie, watashi no ie (« Ma maison, ta maison »), Fukuinkan shoten, première édition 1972, traduit en français sous le titre « Pourquoi une maison ? » à l’Ecole des Loisirs.
Anata no ie, watashi no ie («& Ma maison, ta maison& »), Fukuinkan shoten, première édition 1972, traduit en français sous le titre «& Pourquoi une maison& ?& » à l’Ecole des Loisirs.

Une manufacturing encore peu traduite à l’étranger

Les albums de Kako Satoshi sont peu traduits à l’étranger, en dehors de ses ouvrages scientifiques. C’est particulièrement le cas de Daruma chan to Tengu chan7 dont la narration et le ressort comique repose essentiellement sur des jeux de mots liés à l’homophonie de la langue japonaise. C’est ce que l’auteure et traductrice Kyôko Matsuoka trouvait regrettable, à savoir «& qu’il était dommage de ne pas pouvoir transmettre aux étrangers ces passages plein d’humour parce qu’ils sont intraduisibles& ». Or, Kako avait admis être satisfait de cela. Il avoua par ailleurs qu’à la lecture des chefs-d’œuvre étrangers de littérature de jeunesse, il lui arrivait d’être envieux du caractère populaire et folklorique & dépeint par ces derniers, caractère propre à leurs pays d’origine8.

Ce sentiment est révélateur d’un certain transnationalisme, d’un internationalisme pratiquement sans attache culturelle palpable qu’il pouvait observer dans une part importante de la manufacturing pour la jeunesse au Japon (une production s’inspirant pour beaucoup de l’Europe et des Etats-Unis)9. Si l’identité culturelle est très marquée dans la série des Daruma chan, on peut se demander si cette oeuvre de Kako Satoshi, dans le contexte de globalisation dans lequel nous vivons et particulièrement auprès des enfants d’aujourd’hui, plus familiers à l’univers japonais que leurs aînés, ne rencontrerait pas un grand succès, à l’égal de celui qu’elle a encore aujourd’hui au Japon.

Notes

  1. Voir : <https://mi-te.kumon.ne.jp/contents/article/12-199/>.
  2. Figurine japonaise de papier mâché à l’effigie de Bodhidharma.
  3. Il s’inspira également de quelques autres daruma locaux : le Komochi daruma qui porte un petit enfant et le daruma moustachu (Kodomo no tomo, n° février 1967).
  4. Suivant la défaite japonaise et sous l’occupation américaine (1945-1952).
  5. Esprit ou créature imaginaire très présente dans les contes japonais traditionnels.
  6. Kaminari-chan et ses compatriotes sont inspirés de la divinité du tonnerre et des éclairs de la mythologie japonaise, Raijin.
  7. Traduit en anglais sous le titre Little Daruma et Little Tengu en 2003 chez Tuttle Publishing.
  8. Voir : <https://www.kaiseisha.co.jp/special/kakosatoshi/interview.html>.
  9. Kodomo no tomo, n° décembre 1972.

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