La Bibliothèque du roi visitée en 1698 : An Englishman in Paris

Bibliotheques Paris

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Accompagnant William Bentinck, le comte de Portland, dans son ambassade auprès de Louis XIV concernant la succession au trône d’Espagne1, le géologue et médecin britannique Martin Lister (1638?-1712) arrive en France le 11 janvier 1698 pour un séjour de six mois.

Au cours de son séjour à Paris, il a l’occasion de visiter la Bibliothèque du roi.

Martin Listger, Bibliothèque interuniversitaire de Santé, Licence Ouverte, via Wikimedia Commons
Martin Lister, Bibliothèque interuniversitaire de Santé, Licence Ouverte, by way of Wikimedia Commons

A& journey& to Paris in the yr 1698

Lister publia le récit de son voyage en 16982 et en 16993.

A journey to Paris in the year 1698, Jacob Tonson, 1699.
A& journey& to Paris in the yr 1698, Jacob Tonson, 1699.
A journey to Paris in the year 1698, Third ed., Jacob Tonson, 1699.
A& journey& to Paris in the yr 1698, Third ed., Jacob Tonson, 1699.

Son récit match l’objet d’une satire due à William King (1663-1712), parue en 16984.

A journey to London in the year 1698, A. Baldwin, 1698.
A journey to London within the yr 1698, A. Baldwin, 1698.

Cette satire fut rééditée en 16995 et en 17046.

A journey to London, in the year, 1698, A. Baldwin, 1699.
A& journey& to London,& in the yr, 1698, A. Baldwin, 1699.

Une troisième édition de son récit est parue en 18237.

An account of Paris at the close of the seventeenth century, 1823.
An account of Paris at the shut of the seventeenth century, 1823.

Une édition en français est parue en 18738.

Voyage de Lister à Paris en M DC XCVIII, 1873.
Voyage de Lister à Paris en M DC XCVIII, 1873.

Un fac-similé de la threee édition de Londres, éditée par J. Tonson en 1699, est parue en 19679.

A journey to Paris in the year 1698, 1967.
A journey to Paris within the yr 1698, 1967.

Bibliothèques publiques, hommes de lettres

Dans son reportage, le chapitre 5 est consacré aux Bibliothèques publiques, hommes de lettres10. Outre des bibliothèques particulières de diverses personnalités, Martin Lister visite la Bibliothèque du roi et en fait le récit.

Transcription

La transcription qui go well with reproduit la graphie originale avec ses « s » longs (ſ) et orthographe de l’époque. Les coquilles de l’édition sont mentionnées par : [sic]. Les notes de bas de web page sont celles du doc. Nos notes sont introduites par des crochets carrés ([Note]). Les photographs furent ajoutées par nos soins.


M. l’abbé de Brillac11, aumônier de M. le prince de Conti12, m’offrit fort obligeamment de me conduire à la Bibliothèque du Roi ; mais je le remerciai poliment : l’on m’avoit dit qu’il valoit mieux y aller tout ſeul, parce qu’il n’y avoit pas d’étranger qui n’y fût bien reçu, à quelque moment que ce fût, & non pas ſeulement aux jours où elle eſt ouverte au public, qui ſont les mardis & les vendredis.
M. Clément, ſous-bibliothécaire13, nous accueillit fort bien, & nous engagea à revenir & à paſſer une journée entière avec lui. Pour moi en particulier, il me complimenta comme l’un des grands bienfaiteurs de cet établiſſement, en me montrant la plupart des livres que j’avois publiés en latin, & parut très-content d’avoir pu ſe procurer la Synopſis conchyliorum14, qu’il avoit fait relier élégamment. Je lui dis que j’étais bien fâché de la voir là, & m’étonnai remark il avoit pu l’avoir ; automotive ce n’était, l’aſſurai-je, qu’un eſſai très-imparfait des planches dont je n’avois fait half qu’à quelques amis, en attendant que je fuſſe en état de remplir entièrement mon plan : ce que j’avois fait à préſent ſelon mes moyens. Je m’engageai à mon retour en Angleterre à racheter cet exemplaire par un de ceux qui étoient achevés, & je renouvelai cette promeſſe à M. l’abbé de Louvois15, bibliothécaire en chef, ſur ſes propres inſtances, un jour que j’eus l’honneur de dîner avec lui16. Ce jeune ſeigneur eſt le frère de M. de Barbezieux, ſecrétaire d’État de la guerre17 : il s’applique ſoigneuſement à ſes études, & dans ce deſſein, il a toujours auprès de lui deux docteurs de Sorbonne. Il a un grand état de maiſon, & ſon hôtel touche à celui de la Bibliothèque. Nous fûmes reçus par lui avec toute la civilité conceivable ; il laiſſa toute liberté à la converſation.
On a retiré cette bibliothèque du Louvre pour la mettre dans une maiſon particulière : mais on a le projet de la tranſporter place Vendôme18, où tout un côté de cette magnifique place eſt deſtiné à la recevoir. En attendant, elle eſt rangée très-commodément dans vingt-deux ſalles : quatorze au premier & huit tant au rez-de-chauſſée qu’au-deſſus. Les pièces d’en bas comprennent la philoſophie & la phyſique ; pour plus de ſûreté, les armoires ſont grillées ; dans les pièces du haut ſont encore de la philoſophie & les ſciences19. C’eſt dans ces pièces ſeulement que le public mêlé eſt admis deux fois par ſemaine20. Dans les ſalles du premier, qui forment le grand corps de la bibliothèque, ſont des catalogues & diverſes ſéries de livres. D’un côté, les hiſtoriens d’Angleterre & de Hollande ; de l’autre, ceux de France & d’Allemagne ; plus loin, les hiſtoires d’Italie, d’Eſpagne, &c. Des bibles de toute ſorte avec leurs interprètes, les manuſcrits grecs, les latins. Ailleurs les lois municipales & civiles de toutes les nations ; les papiers d’État. Dans d’autres ſalles, les eſtampes, parmi leſquelles, pour le dire en paſſant, ſe trouve la assortment de M. l’abbé de Marolles, que le Roi, pour ſe diſtraire dans une de ſes maladies, avoit achetée pour une groſſe ſomme21. Le ſeul catalogue de ces eſtampes, pas plus gros que deux petits almanachs22, me coûta quatorze livres ; tant les étrangers ſont les dupes des ruſés libraires de la rue Saint-Jacques. Mais ce n’eſt pas en France ſeulement qu’on fait faire payer aux gens leurs fantaiſies.

Michel de Marolles - Abbé de Villeloin, à l'âge de 57 ans. Estampe (burin) de Robert Nanteuil
Michel de Marolles – Abbé de Villeloin, à l’âge de 57 ans. Estampe (burin) de Robert Nanteuil, https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/38/Michaelis_de_Marolles-Abbatis_de_Villeloin.jpg
Catalogue de livres d'estampes et de figures en taille douce que Martin Lister acquit pour 14 livres.
Catalogue de livres d’estampes et de figures en taille douce, 1666, que Martin Lister acquit pour 14 livres.
Catalogue de livres d'estampes et de figures en taille-douce, 1672.
Catalogue de livres d’estampes et de figures en taille-douce, 1672.

On a deux catalogues de cette bibliothèque ; le premier, des livres qu’on poſſède, rangés par ordre de matières l’autre, en une table des auteurs23 avec l’indication non-ſeulement de tout ce qu’on en poſſède, mais encore les titres de tous les livres qu’on a pu connoître & qui manquent, ceux-ci avec un aſtériſque à la marge, pour pouvoir connoître du premier coup d’œil ce qu’il faut acheter. C’eſt véritablement une grande assortment, & digne du puiſſant prince qui la poſſède. Il y a au moins cinquante mille volumes imprimés & quinze mille manuſcrits en toutes ſortes de langues.
On travaille aſſidûment à ce catalogue, que l’on compte imprimer24. J’en ai vu dix gros in-folio mis au internet25. Il eſt diſpofé par ordre de matières tels que les bibles, leurs interprètes, l’hiſtoire, la philoſophie, &c. On compte en commencer l’impreſſion cette année, & n’en employer qu’une ſeule pour l’achever26.
A cette bibliothèque du Roi, on me montra un vieux manuſcrit grec de Dioſcoride écrit en une eſpèce de lettres capitales minces & ſerrées, avec les plantes peintes à la gouache27. Le premier livre manquoit tout entier, par conſéquent les animaux, qui étoient juſtement ce que j’aurois le plus ſouhaité de voir, automotive il y a, à leur ſujet, bien des choſes ſur leſquelles on eſt encore dans une grande incertitude, & j’aurois eu du plaiſir à voir par les figures ce que le moyen âge, au moins, en avoit penſé.

[Manuscrit Grec 2179 vu par Martin Lister en 1698.]

On nous match voir dans la même ſalle un manuſcrit des Épîtres : c’eſt une portion de celui que nous avons à Cambridge qui ne renferme que les Évangiles, & qui vient de Théodore de Bèze. Il eſt écrit en majuſcules carrées, à lignes très-courtes, & eſt tout uſé en divers
endroits. C’eſt pour la beauté & l’ancienneté quelque choſe de fort inférieur au beau manuſcrit alexandrin de Saint-James.

[Grec 107, Saint Paul, Épîtres, texte grec et latin.]

Nous vîmes encore un autre manuſcrit de ſaint Matthieu, découvert depuis peu : c’eſt un beau quantity grand in-folio. On l’avoit dépecé par le dos, les feuillets en avoient été brouillés, puis reliés à neuf, & on s’en étoit ſervi pour écrire deſſus, il y a environ cent cinquante ans, un autre livre. La première écriture étoit devenue ſi pâle que lorſqu’on écrivit par-deſſus ce ſecond ouvrage d’une petite écriture grecque moderne, on ne prit pas la peine de gratter la première. Un des gardes de la Bibliothèque s’en aperçut. Il remit les feuillets dans leur ordre ; & avec un peu d’consideration, on peut venir à bout de le lire. Le caractère en eſt d’une auſſi belle majuſcule carrée que j’aie jamais vue28. Il y a quelques interpolations flagrantes, par exemple à propos du malade & de la piſcine de Betheſda, au ſujet deſquelles je penſe que nous aurons les explications du ſavant & induſtrieux collateur.

Latin 11959 : Evangelia quattuor (f. 5r-184r). Capitulare evangeliorum (f. 185r-201r), https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8426781b

J’ai remarqué les livres chinois que le P. Beauvais29 a rapportés cette année en préſent au Roi. Ce ſont environ quarante-quatre fragmens de minces volumes, in-4° allongé, dans des couvertures volantes de ſatin violet collé ſur du carton. C’eſt de l’hiſtoire naturelle, des dictionnaires pour l’explication des caractères chinois, &c. Le Roi avoit antérieurement une assortment peu près ſemblable, couverte en ſatin blanc, avec les titres ſur les ouvrages30.
J’ai auſſi vu là la troiſième décade de Tite-Stay écrite ſans ſéparation entre les mots, & en grandes & belles majuſcules, en un volume de vélin grand in-4°31. M. Baluze32 penſe qu’il a onze cents ans de date. Cependant le manuſcrit des Hymnes de Prudence, que l’on nous a également montré, eſt écrit d’un bien meilleur caraſtère, & par conſéquent plus ancien au moins d’un ſiècle33.

Latin 5730 : Titi Livii historiae Romanae decas tertia : initio et ad calcem nonnulla desiderantur, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8470112j

On m’a encore montré un fameux volume, ou rouleau, latin, ſur papyrus, de la trente-huitième année de Juſtinien, intitulé Charta plenariœ ſecuritatis : il a été gravé en fac-ſimile & expliqué lettre par lettre par M. Thévenot34. Il eſt écrit dans le ſens de la longueur du papyrus, & non dans la largeur, ſur trois colonnes, dont celle du milieu eſt le triple des deux autres. Ce rouleau n’a pas plus d’un pied de hauteur.

On nous montra dans l’hôtel de la Bibliothèque la demeure de M. Huyghens35. C’eſt un bel appartement, en bon air & donnant ſur le jardin ; mais il ne Iaiſſa pas d’y contracter, la mélancolie dont il mourut en Hollande.
[…]
Mais ce n’eſt pas là tout ce qu’il y a de curieux dans la Bibliothèque du Roi vous y verrez un nombre conſidérable d’antiquités romaines & égyptiennes ; des lampes, des patères & d’autres vaſes à l’uſage des ſacrifices ; un ſiſtre ou crécelle égyptienne avec trois cordes métalliques.

Parmi une grande variété d’idoles égyptiennes, il y en avoit une de deux à trois pieds de long, en pierre de touche noire avec des hiéroglyphes gravés ſur la partie antérieure. Je notai particulièrement le grain de cette pierre ; & à mon retour, ayant eu l’honneur de recevoir de M. Molyneux36 de Dublin la deſcription de ces immenſes piliers naturels que l’on voit en Irlande, & qui ſont de pierres de touche ou de baſalte37, je fus aiſément de ſon avis ; mais je m’étonne fort de voir affecter cette determine régulière à une pierre qui eſt des plus dures que l’on trouve en Europe, & telle que nos outils ne ſauroient la tailler.

Sandy, Edwin, « VIII. A correct draught of the Giants Causway in Ireland, with an explication of the same », Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 31 December 1697, vol. 19, n° 235.
Sandy, Edwin, « VIII. A correct draught of the Giants Causway in Eire, with an explication of the identical », Philosophical Transactions of the Royal Society of London,& 31 December 1697, vol. 19, n° 235.

Ceci eſt un exemple, & les obéliſques en ſont un autre, de la trempe & de la bonté des outils égyptiens, ſur leſquels, comme ſur le moyen de retrouver cette trempe de l’acier, j’ai publié il y a quelques années un
diſcours dans les Tranſactions Philoſophiques38.

Lister, Martin, « IV. The manner of making steel, and its temper; with a gueβ at the way the ancients used to steel their picks, for the cutting or hewing of porphyry », Philosophical Transactions of the Royal Society, 30 September 1693, vol. 11, n° 203, p. 865-870.
Lister, Martin, « IV. The way of creating metal, and its mood; with a gueβ at the approach the ancients used to steel their picks, for the slicing or hewing of porphyry », Philosophical Transactions of the Royal Society, 30 September 1693, vol. 11, n° 203, p. 865-870.

J’aurois eu à cet égard plus de ſatisfaction ſi j’avois pu trouver ce que je cherchois avec empreſſement, c’eſt-à-dire les tombeaux égyptiens qui furent longtemps à Paris dans le jardin de M. de Valentiné39) mais par malheur il les avoit envoyés à ſa maiſon de Tours peu de temps avant mon arrivée40.

Musée du Louvre, Département des Antiquités égyptiennes, D 5
Musée du Louvre, Département des Antiquités égyptiennes, D 5 – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010025547 – https://collections.louvre.fr/CGU

On dit qu’un de ces tombeaux eſt de pierre de touche noire, qu’il vient de la haute Égypte & qu’il eſt rempli d’hiéroglyphes. Le P. Kircher en fait une point out ſpéciale41.

Musée du Louvre, Département des Antiquités égyptiennes, D 7
Musée du Louvre, Département des Antiquités égyptiennes, D 7 – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010009971 – https://collections.louvre.fr/CGU
Kircher, Athanasius (1602-1680), Œdipus ægyptiacus. T. 1, Romae : ex typographia V. Mascardi, 1652, p. 215
Kircher, Athanasius (1602-1680), Œdipus ægyptiacus. T. 1, Romae : ex typographia V. Mascardi, 1652, p. 215, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111866h/f318

Il y a dans cette collection un gros morceau de mine d’étain d’Angleterre, qui eſt fort curieux. Il y a d’un côté un grand nombre de grands & beaux criſtaux opaques d’étain, qui ont l’éclat de l’acier poli. Je n’ai pas pu compter aiſément les facettes de ces criſtaux, mais je ſuis ſûr, après avoir examiné avec ſoin tous les criſtaux que j’ai pu rencontrer, précieux ou non, de même que ceux des ſels foſſiIes, que je n’ai jamais vu chez aucun la configuration de ceux dont je parle, & je ſuis perſuadé que c’eſt une forme particulière & propre à la mine d’étain. Je leur donne te nom de criſtaux, nonobſtant leur opacité, à cauſe de leur forme priſmatique & conſtamment la même.[…]

J’ai vu dans le jardin de la Bibliothèque du Roi, à Paris, une ſtatue vintage de Mercure42 qui a ſur la tête une longue hairstyle pliée ou miſe en double, comme s’il y avoit quelque affinité entre ces deux inventeurs du commerce, des arts & des ſciences.


Citer cet article : Olivier Jacquot, "La Bibliothèque du roi visitée en 1698 : An Englishman in Paris". Dans Carnet de la recherche à la Bibliothèque nationale de France, ISSN 2493-4437, 21 novembre 2022. Disponible en ligne, url : <https://bnf.hypotheses.org/18767> (consulté le 25 novembre 2022).

Notes

  1. Et non pas au sujet du Traité de Ryswick comme le laisse entendre la 3e édition du texte, traités d’ailleurs signés signés les& 20-21 septembre& et 30 octobre 1697.
  2. A& journey& to Paris in the yr 1698, London :& printed for Jacob Tonson on the Judges-Head near the Internal-Temple-Gate in Fleetstreet, and at Grey’s-Inn-Gate in Grey’s-Inn-Lane,& 1698, 1 vol. ([6], 245, [1] p.

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